Afforestations en montagne: expériences avec des essences exotiques ¶
Par essences exotiques, il faut comprendre toutes les essences qui ne sont pas autochtones ou qui ne le sont plus depuis la dernière glaciation. Avec le changement climatique, force est de constater qu'il y a un regain d'intérêt pour celles-ci. Il est en effet possible que des essences exotiques s'adaptent mieux aux conditions climatiques futures que nos autochtones.
Les nombreuses et dévastatrices avalanches des hivers 1951 et 1954 sont à l'origine d'efforts particuliers pour reboiser des zones ouvertes à la limite supérieure des forêts. L'expérience et les connaissances sur les afforestations en montagne manquaient cependant. Différentes erreurs dans la planification et la réalisation des travaux ont été à l'origine de taux de mortalité très élevés. Pour beaucoup, ils étaient dus à des maladies fongiques telles la chute des neiges de l'arolle (Phacidium infestans), le dépérissement des pousses de l'arolle, du pin à crochets et de l'épicéa, appelé aussi chancre scléroderrien (Gremmeniella abietina) et l'herpotrichie noire (Herpotrichia juniperi) pour l'épicéa.
La surface d'essais du Stillberg près de Davos, située entre 2000 et 2300 m d'altitude, a permis de mener différentes recherches scientifiques sur cette problématique des afforestations en montagne. De nombreuses publications rendent compte des expériences faites et des résultats obtenus. Sur la base de ces connaissances, vint l'idée de tester aussi des essences exotiques. A partir de graines provenant d'arbres d'Amérique du Nord, des plants ont été élevés en Suisse puis mis dans des pots à parois perméables aux racines. En 1984 et 1985, ils ont été plantés dans quatre surfaces d'essais sous forme de collectifs.
Sites retenus
Surfaces d'essais | Lieu-dit | Altitude [m] | Exposition |
Davos (GR) | Stillberg | 2020 | N-E |
Brienz (BE) | Giebelegg | 1750 | S-SW |
Wolfenschiessen (NW) | Haldigrat | 1830 | N-W |
Törbel (VS) | Moosalp | 2160 | E-SE |
Essences principales de l'essai
Nombre | Essence | Provenance | Altitude [m] |
1500 | Epicéa d'Engelmann (Picea engelmannii) | Idaho, Clearwater Nat. Forest, USA | 2430 |
600 | Sapin des montagnes ou sapin des Alpes (Abies lasiocarpa) | Idaho, Clearwater Nat. Forest, USA | 2430 |
100 | Mélèze subalpin (Larix lyallii) | Montana Missoula, USA | 2250 |
Plants de référence | |||
1400 | Epicéa (Picea abies) | Conters, Grisons, CH | 1720 |
2000 | Epicéa (Picea abies) | Sertig, Grisons, CH | 1970 |
1000 | Arolle (Pinus cembra) | Avers, Grisons, CH | 1900 |
Pour servir de base de comparaison, des épicéas et des arolles de provenances grisonnes ont aussi été plantés sur chacune des surfaces d'essais. En plus petit nombre, d'autres essences exotiques ont aussi été testées: le hêtre de l'Antarctique (Nothofagus antarctica, provenant de Nouvelle-Zélande - Craigieburn Forest Park), le pin vrillé (Pinus contorta, provenant de Colombie-Britannique) et l'épicéa noir ou épinette noire (Picea mariana, provenant des Montagnes Rocheuses canadiennes de l'Alberta, près d'Edmonton).
Soins aux afforestations
Les stations sur lesquelles ont été plantés les arbres sont d'anciens pâturages avec une forte croissance herbacée. Jusqu'à deux fauchages estivaux ont été parfois nécessaires pour que la croissance des plants ne soit pas prétéritée par la concurrence de la végétation et le manque de lumière. Les surfaces du Stillberg et de Törbel étaient protégées de l'influence du gibier par une barrière. Celle de Törbel ayant été détruite par une avalanche, il a été décidé de protéger du gibier cette surface ainsi que celles de Wolfenschiessen et Brienz par des clôtures électriques durant les quelques mois sans neige de l'été. La première phase de croissance d'arbres plantés à la limite altitudinale forestière est toujours très lente et souvent problématique. Sur les versants exposés au nord, froids, avec une épaisse couche d'humus brut, comme au Stillberg, les jeunes arbres ont souvent besoin de plusieurs années avant que leurs racines atteignent les ressources minéralisées du sol, à même de leur fournir les nutriments nécessaires à leur bon développement.
Mortalité
Les inventaires annuels après la plantation ont permis de relever et décrire les dégâts et les causes de mortalité. Les premières années ont été principalement marquées par le choc de transplantation, la concurrence de la végétation, les dégâts de rongeurs, et l'abroutissement de la pousse terminale par les ongulés. Les essences exotiques se sont montrées clairement plus sensibles que les essences autochtones à la sécheresse physiologique hivernale et aux gels tardifs printaniers.
Le mélèze subalpin et le hêtre de l'Antarctique n'ont eu quasiment aucune croissance. Ils ont été particulièrement sensibles au retour de vagues de froid au printemps et aux gels tardifs qui y étaient liés ainsi qu'aux chutes de neige durant la période de végétation. Après deux ans, ils avaient tous péris.
Le pin vrillé et l'épinette noire ont souffert durant leur deuxième hiver de cassures de tiges et de branches, certains ont aussi été arrachés. Finalement, le dépérissement des pousses a eu raison du reste des plants.
Une coulée de boue a traversé la surface de Törbel en emportant une grande partie des collectifs de sapins des montagnes.
Dans les surfaces très pentues, en particulier les surfaces de Brienz et Törbel exposées au sud, les mouvements du manteau neigeux (reptation et glissement) sont à l'origine d'une croissances des arbres en forme de sabre. Après plusieurs années, devenues plus rigides, les tiges se sont fendues à la base et ont fini par casser.
Malgré les protections installées, les dégâts du gibier ont causé une forte mortalité. Outre les essences exotiques, les arolles ont également souffert de l'abroutissement, de la frayure et de l'estocade du chevreuil, du cerf et du bouquetin. Les plantations complémentaires, réalisées sur les surfaces de Törbel, Brienz et Wolfenschiessen, n'ont pas été à même d'assurer la survie de l'arolle. La forte présence du gibier à Brienz a aussi causé la disparition du sapin des montagnes. A Törbel, des génisses et des moutons ont eu parfois accès à la surface, ensuite chevreuils, chamois et cerfs ont de plus en plus été intéressés par celle-ci. De l'ensemble de l'essai, il ne reste plus que quelques exemplaires rabougris de sapins des montagnes.
Les dégâts du gibier sont souvent un facteur déterminant pour le succès d'une plantation, et, expérience faite, tout particulièrement lorsqu'il s'agit d'essences exotiques. Manifestement, les essences exotiques dégagent une odeur qui attire les ongulés et ont un goût qu'ils apprécient. Le douglas est un bon exemple, car c'est l'essence exotique ayant en Suisse la plus grande valeur économique, mais qui nécessite généralement de coûteux moyens de protection contre le gibier. Les ongulés n'ont pas manqué de créer de nombreuses difficultés aux essais d'afforestation du WSL avec des essences exotiques à la limite supérieure de la forêt. Les quelques plants de sapin des montagnes à Wolfenschiessen, qui ont survécu à l'abroutissement, souffrent de frayure et d'estocade du chevreuil. Les épicéas d'Engelmann, d'une hauteur de 7 mètres, sont systématiquement écorcés par le cerf. Sans mesure de protection, leur survie n'est pas assurée. Force est de constater qu'en montagne, seule une régulation systématique et durable par la chasse des populations d'ongulés peut permettre de mener à terme une afforestation avec des essences exotiques.
Performances de croissance des essences de provenance nord-américaine
Lors d'un contrôle, 35 ans après la plantation, trois essences présentent encore un nombre significatif d'arbres: l'épicéa d'Engelmann (Picea engelmannii), le sapin des montagnes (Abies lasiocarpa) et l'épicéa des deux provenances grisonnes. L'essence la plus vigoureuse est de loin le sapin des montagnes. Les sapins de la surface du Stillberg près de Davos, épargnée de l'influence du gibier, sont imposants et atteignent une taille de 10 mètres. Leur biomasse, comparée à celle des épicéas grisons plantés en même temps, est trois fois plus élevée. Les épicéas d'Engelmann ont sur toutes les surfaces atteint le stade du perchis, mais ne présentent pas de différence de croissance significative par rapport aux épicéas de provenance grisonne. Par contre, il est à noter que les épicéas d'Engelmann ont plus souvent souffert de maladies fongiques et d'attaques d'insectes que les autochtones. Il s'agissait surtout de la rouille vésiculeuse des aiguilles de l'épicéa (Chrysomyxa rhododendri) et du chermès (Sacchiphantes viridis). Ceci s'est traduit par une perte de vitalité visible et une croissance diminuée.
Ces essais à la limite altitudinale forestière mettent en évidence la problématique de l'utilisation d'essences exotiques dans ce genre d'afforestation, ils rendent compte aussi de leur potentiel.
Rapport interne WSL: A. Streule et R. Häsler.
Vergleichspflanzungen mit einheimischen und ausländischen Gebirgsbaumarten in Hochlagen auf vier verschiedenen Standorten in der Schweiz.