Des femmes dans un monde d’hommes

Dans l’unité de recherche Ressources et gestion forestières du WSL – un domaine traditionnellement masculin jusqu’à il y a quelques années –, trois des cinq groupes sont dirigés par des femmes. À l’occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, elles racontent comment cela fonctionne.

Au cours de votre carrière scientifique, avez-vous vécu des situations qu’un homme aurait vécues différemment ?

Esther Thürig : Oui, je suppose. Je me rappelle d’une séance avec des experts de l’industrie forestière et du bois lorsque je travaillais à l’OFEV après ma thèse. Un homme d’un certain âge a lancé : « Ah, cette dame tape le procès-verbal ? » Heureusement, mon responsable a immédiatement rectifié le malentendu et souligné clairement mon rôle d’experte.

Janine Schweier : Dans une commission technique dont je fais partie, je suis la seule femme. Il arrive que les hommes – pour la plupart des hommes âgés – insistent lourdement pour me demander mon avis. Je suis sûre que c’est bien intentionné, mais je trouve cela déplacé. Je suis là en tant que spécialiste et si j’ai quelque chose à dire dans mon domaine de compétence, je n’hésite pas à m’exprimer.

Martina Hobi : Je ne me souviens que d’un seul cas. Cela s’est passé en marge d’un séminaire sur le leadership destiné au personnel de la Confédération. L’orateur invité – un homme de plus de 50 ans – m’a déclaré avec une parfaite conviction qu’un poste de direction n’était de toute façon pas envisageable dans le cadre d’un travail à temps partiel. Cela m’a offensée, et je me demande s’il m’a dit cela uniquement parce que je suis une femme.

Cheffe à temps partiel

Qu’est-ce que cela fait d’être une femme travaillant dans un domaine masculin ?

Martina Hobi : Nous, les femmes qui occupons des postes de cadres, sommes en quelque sorte des figures de proue à qui on demande sans cesse de l’aide pour les questions de genre – comme pour cet entretien. Cela occasionne un surcroît de travail que les hommes ne semblent pas devoir fournir.

Janine Schweier : Oui, on me demande aussi de temps en temps de prendre la parole lors de réunions de doctorantes, par exemple. Ce ne sont presque jamais des questions techniques, mais surtout des aspects comme l’équilibre entre le travail et la famille.

Esther Thürig : Pendant longtemps, j’ai été la seule femme lors des réunions de notre unité de recherche. J’ai clairement remarqué la différence lorsqu’une autre femme a rejoint l’unité. À nous deux, nous représentions une proportion de 30 % de femmes, ce qui correspondait à une espèce de masse critique.

Janine Schweier : Il était important pour moi de pouvoir bénéficier d’un temps partiel car j’ai deux enfants. Avant de poser ma candidature au WSL, je me suis renseignée pour savoir si d’autres personnes y occupaient des postes de direction en travaillant à temps partiel. C’était un point très important pour moi. 

Pourquoi avez-vous choisi ce domaine de recherche particulier ?

Janine Schweier : Lorsque j’étais enfant, j’adorais déjà être en forêt. Lorsque j’ai dû choisir une profession, j’ai réalisé que les sciences forestières couvraient exactement les thèmes qui me passionnent. Je n’ai plus hésité. Lorsque j’ai fait ma thèse, les femmes étaient clairement minoritaires, mais tous cultivaient une relation collégiale, sans distinction de sexe.

Esther Thürig : J’ai étudié la biologie sans m’engager très tôt dans une direction particulière. J’ai fait mon mémoire de fin d’études au WSL et c’est ainsi que je me suis lancée dans le domaine de la forêt. Pendant mes études et jusqu’au doctorat, le rapport femmes/hommes a toujours été équilibré, mais, à partir de ce niveau de formation, la proportion de femmes a diminué de manière significative.

Martina Hobi : J’ai toujours été passionnée par la dynamique des forêts primaires et des réserves forestières. J’ai étudié les sciences de l’environnement, et le rapport femmes/hommes y est plus équilibré que dans les autres disciplines à l’ETH Zurich. En fait, je n’avais jamais eu l’intention de faire une thèse, mais lorsque le WSL a proposé un doctorat en recherche sur les forêts naturelles en Ukraine, j’ai trouvé que c’était une excellente occasion de me rendre à l’étranger et de vivre une belle aventure.

Janine Schweier : C’est drôle, je n’avais pas non plus prévu de faire une thèse. Mon chef m’y a motivée à l’époque, en me disant que je ferais de toute façon le même travail, même si ce n’était pas dans le cadre d’un doctorat. Ses encouragements et son soutien ont beaucoup compté. Et quand j’ai eu des enfants plus tard, mon chef m’a dit : « Amène-les simplement au bureau ». Il m’a aussi permis d’adapter mes horaires de travail à notre vie de famille.

Trop jeune pour être cheffe de groupe ?

Qu’a-t-il fallu pour que tu accèdes à ton poste de cadre actuel ?

Martina Hobi : Lorsque le poste de recherche sur les forêts naturelles au WSL s’est libéré, j’ai hésité, car je me trouvais trop jeune pour être cheffe de groupe. De plus, je souhaitais fonder une famille. Mais en fait, je pouvais bien imaginer gérer une équipe, et j’ai donc décidé de saisir cette chance et de voir plus tard comment je pourrais concilier travail et vie de famille. Et d’ailleurs, il y avait déjà une pionnière dans l’unité de recherche, à savoir Esther.

Esther Thürig : J’ai voulu trouver ma propre orientation dans la recherche. Pendant mon travail de diplôme en tant que collaboratrice scientifique au WSL, j’ai réalisé que pour cela, je devais développer mes compétences, et je me suis formée davantage, notamment en statistiques.

Janine Schweier : Il faut travailler dur, comme dans toute fonction de cadre. Cependant, les questions de genre signifient non seulement promouvoir les femmes aux postes à responsabilités, mais aussi soutenir l’ensemble de la démarche avec des postes à temps partiel pour les hommes.

As-tu déjà eu l’impression d’être une « femme alibi » ?

Martina Hobi : Je n’ai jamais eu l’impression d’être élue à un comité simplement parce que je suis une femme. Il s’agissait toujours de compétences techniques. À mon avis, les commissions ayant un nombre imposé de femmes risquent d’accueillir des femmes qui n’ont rien à voir avec le sujet. C’est particulièrement un problème dans les domaines où la proportion de femmes est (encore) faible.

Janine Schweier : Je suis sceptique quant à la réglementation des quotas. S’il y a suffisamment de femmes compétentes, les opportunités se présenteront. De nos jours, il est tout à fait normal que, lors de conférences scientifiques, une femme soit également sollicitée pour le prestigieux discours d’ouverture. Mais cela n’est pas possible sans compétence professionnelle.

Plus d’empathie dans la science

Penses-tu faire certaines choses différemment qu’un homme au même poste ?

Martina Hobi : Je crois que les femmes apportent plus d’empathie à la science. Personnellement, j’apprécie les bonnes relations au sein de mon groupe et je veux toujours être à l’écoute de mes collègues et de leurs problèmes. Ce ne sont pas seulement les faits et les résultats qui comptent, mais aussi la meilleure voie pour y parvenir.

Esther Thürig : J’essaie de faire en sorte que tous les membres du groupe puissent se consacrer à ce qu’ils aiment faire. Et j’encourage dans tous les cas le travail à temps partiel, également pour les hommes. Car si mon mari n’avait pas aussi une charge de travail réduite, mon modèle ne fonctionnerait pas.

Janine Schweier : C’est valable également pour moi.

Comment pensez-vous que les choses vont continuer à l’avenir ?

Janine Schweier : S’il arrive que je sois traitée différemment que les hommes, c’est plutôt une question de génération. Chez les hommes plus jeunes, il est désormais parfaitement normal que les femmes aient les mêmes rôles qu’eux.

Esther Thürig : Au WSL, le travail à temps partiel est déjà possible dans de nombreux groupes, y compris chez les hommes. C’est ce qui rend possibles les modèles familiaux et de temps de travail flexibles et fait du WSL un employeur attrayant. En outre, j’ai le sentiment que ceux qui travaillent à un temps partiel relativement important, c’est-à-dire 70 ou 80 %, sont très efficaces. Je dois réfléchir attentivement à l’organisation de ma journée, et l’intensité du travail est plus élevée.

Martina Hobi : La diversité est clairement un avantage dans la collaboration. Les équipes mixtes – non seulement en termes de sexe, mais aussi en termes d’âge et d’origine – fonctionnent mieux parce qu’elles examinent les problèmes sous différents angles.

Que recommandez-vous aux autres femmes de science ?

Martina Hobi : Il faut saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent et ne pas tergiverser pour savoir si cela va marcher.

Schweier : Surtout, de ne pas perdre courage après le doctorat et de persévérer. Pour moi comme pour beaucoup d’autres chercheuses, cette période a été particulièrement difficile, car on réfléchit à la manière de concilier travail et planning familial.

Esther Thürig (à gauche) est biologiste. Elle dirige le groupe Analyse des ressources, qui examine l’état actuel et l’évolution future des forêts et des services qu’ils assurent. Elle a un fils  de 10 ans et une fille de 9 ans.

Janine Schweier a étudié les sciences forestières à Fribourg en Brisgau, en Allemagne. Son groupe, Gestion forestière durable, soutient l’économie forestière dans es efforts pour continuer à fournir tous les services écosystémiques à l’avenir. Elle a deux fils en bas âge.

Martina Hobi est une spécialiste des sciences environnementales. Son groupe, Dynamique des peuplements et sylviculture, étudie le développement des forêts et l’impact de la gestion sylvicole. Elle a une petite fille.

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